Remblai zone humide et atteinte à des espèces protégées et leurs habitats

Date de constatation

19 mai 2022

Thème

Eau

Description

Lors d’une des courantes prospections de LOANA dans ce secteur au mois de mai, une de nos équipes a ainsi découvert une jolie mare dans un petit bois entre bucoliques prairies et cultures, et qui n'était pas référencée sur la carte IGN. Enfin... jolie, elle aurait dû l'être si elle ne servait pas depuis des lustres de déchèterie à ciel ouvert ! Un tas de déchets de toutes sortes y avait en effet été déposé… Plaques d’amiante, bidons en plastique, pneus, bottes de foin, gravats, la liste est longue, et le tas de déchets, très très haut.
Il était évident que cet amoncellement de détritus datait de plusieurs années pour les plus anciens…Pour les autres déchets, des traces toutes fraîches de tracteur indiquaient selon toute vraisemblance que la décharge était toujours en activité. Cette belle petite mardelle ressemblait au final plus à une grosse flaque noirâtre parsemée d'immondices qu’à autre chose…
Bref, nos co-équipiers ont quand même pu apercevoir dans ce marasme deux pauvres petits Tritons palmés qui clapotaient comme ils pouvaient. La mare en effet donnait déjà des signes alarmants d’assèchement, du fait notamment d’une forte accumulation antédiluvienne de sédiments et de déchets.
La Police de l’environnement (OFB), prévenue quelque temps plus tard, s’est rendue sur les lieux, et, non contente de constater les dégâts, a également observé la présence impromptue de têtards de Grenouille agile (Rana dalmatina), une espèce d’amphibien dont très peu de données étaient connues dans le département !
Aussi, pour donner suite à cette découverte, LOANA a bien-entendu porté plainte pour dégradation, pollution et comblement partiel d’un site de reproduction d’espèces protégées, tout en demandant a minima la dépollution du site.
Après ce dépôt de plainte, un accord a été conclu par l'OFB avec le quidam responsable de cette atteinte environnementale. Ce dernier en sera quitte pour un rappel à la loi, sous condition tout de même d'une remise en état du site…Il lui faudra donc ôter tous les déchets ! Une activité de nettoyage qui devra bien sûr se faire en dehors de la période de reproduction des amphibiens... Affaire (encore et toujours) à suivre, donc.
LOANA remercie chaleureusement l’équipe de l’OFB 55 qui a une nouvelle fois fait preuve de réactivité et d’efficacité.

🧑‍🏫 Bref historique sur les mares:
Il fut un temps pas si lointain où les mares agricoles étaient nombreuses sur le territoire métropolitain. Placées dans les parcelles agricoles ou dans les jardins, elles servaient de point d’eau pour le bétail, ou de réserve d’eau pour les cultures et les usages domestiques. Des réserves d’eau étaient aussi nécessaires pour des activités comme le tannage, le rouissage (travail du lin et du chanvre) ou encore la forge. Elles pouvaient également servir de réserve en cas d'incendie. Indirectement, elles pouvaient également jouer un rôle comme réserve de matériaux pour la vannerie, par exemple ; les Saules (notamment le Saule des Vanniers) se développant en effet au bord de ces zones humides.
Certaines ont même été créées involontairement en creusant le sol pour récupérer certains matériaux (Argile, sable…), à des fins de construction (briques) ou de poterie. Après l'exploitation du site, une mare pouvait ainsi se former au fil du temps et des précipitations. D’autres mares, notamment dans le Nord et le Grand-Est, ont eu pour origine des trous d’obus, disséminés sur des champs de bataille ou aux abords d'ouvrages militaires.
Du fait de leur origine souvent anthropique, la plupart de ces mares peuvent donc revêtir une forte valeur culturelle, voire-même esthétique et paysagère.
🤔 Mais en fait, une mare, c'est quoi ?
Il existe une « foultitude » de mares différentes, mais, grosso modo, les experts s’accordent à définir une mare selon les critères suivants :
👉 une étendue d’eau naturelle ou anthropique
👉 pouvant atteindre 5 000 m² en surface
👉 alimentée par les eaux pluviales et/ou phréatiques
👉 de profondeur inférieure ou égale à 2 mètres
Ce dernier critère est important, car une faible profondeur permet à toutes les couches d’eau d’être soumises aux rayonnements solaires et aux plantes aquatiques ou semi-aquatiques de s’enraciner sur le fond, ce qui confère aux mares une forte valeur écologique.
Une mare peut de plus être temporaire ou pérenne, selon les conditions climatiques et l’approvisionnement en eau, ce qui a un impact sur le cortège faunistique et floristique qu'elle héberge. Certaines espèces d'amphibiens, comme le Crapaud calamite ou le Sonneur à ventre jaune, sont par exemple dépendantes pour se reproduire de mares pionnières ou d'ornières inondées, qui s'assèchent naturellement très vite, parfois en quelques semaines !
👻 Les menaces (pas vraiment) fantômes
Aujourd’hui, il faut le dire, les mares régressent gravement… On estime en effet que leur nombre a diminué de 50 à 70 % selon les régions depuis les années 60, et qu’il ne reste plus que 10 % des mares qui étaient présentes sur le territoire français métropolitain au début du XXème siècle… Ouille ! Chez vous aussi, ça pique ?😳
Les mares ont en effet été de moins en moins utilisées, car elles sont devenues moins nécessaires qu'auparavant pour l’approvisionnement en eau des activités humaines, qui ont elles-aussi évoluées. Ceci a ainsi souvent entraîné leur abandon, provoquant pour certaines un atterrissement progressif : peu à peu, la végétation s’est développée, les mares devenant moins profondes, avec d'importants risques d'assèchement. D'autres ont été empoissonnées pour la pêche ou le loisir, détruisant ainsi le complexe équilibre écologique de ces fragiles et riches milieux naturels, dégradés par la présence nouvelle de poissons.
En cause aussi, la politique d’intensification de l’agriculture conduite tambour battant depuis les années 60, qui valorise et favorise les grandes cultures (céréales, oléagineux). Exit donc, les prairies pâturées par les animaux d’élevage, les prairies de fauche et vergers haute-tige. Aujourd'hui, on enferme de plus en plus les vaches dans des bâtiments, on retourne les prairies et on plante du maïs pour nourrir ces mêmes animaux qui ne sortent plus... Les mares prairiales, ces victimes collatérales (comme tant d’autres) du productivisme agricole forcené, se retrouvent comblées - le plus souvent avec des gravas plus ou moins inertes - et sont ensuite retournées manu militari avec les vertes prairies qui les accueillaient parfois depuis des siècles.
D'autre part, le réchauffement climatique commence lui aussi à entrer en action et à impacter négativement les mares. Les sécheresses hivernales et printanières qui se succèdent depuis plusieurs années entraînent des assèchements de plus en plus longs et fréquents des mares, ajoutant une nouvelle cause de disparition à cette déjà trop longue liste.
🐸Les bienfaits de la mare🦆
« Mais alors, me direz-vous, si on ne se "sert" plus des mares pour s’approvisionner en eau ou pour abreuver les bêït', à quoi ça sert de les garder » ?
Eh bien, pour commencer, figurez-vous que certains agriculteurs gardent encore des mares qui leur servent de réserve d’eau pour leurs vaches. Même si ce procédé peut s’avérer destructeur pour les berges de la mare, ce problème peut être résolu rapidement en clôturant la mare et en installant une pompe à museau. 🐄
Une mare possède également plusieurs rôles majeurs dans un écosystème. Elle représente déjà un réservoir d’eau de pluie, permettant de freiner l'écoulement, et donc de limiter l’érosion des terres et désengorgeant les réseaux d’assainissement (fossés). En stockant les eaux de pluie, elle permet aussi la sédimentation des particules présentes dans l’eau et leur stockage, et ainsi d’améliorer la qualité de l’eau recueillie. Cela permet aussi de limiter les inondations. 💦
Mais après tout, faut-il encore trouver un usage à quelque chose pour le conserver ? Ne peut-on pas simplement garder une mare dans sa prairie simplement pour une raison esthétique ? Souhaite-t-on vraiment un monde uniformisé, dans lequel les paysages sont devenus homogènes et vides de vie ? 🏜
Vides de vie ? Les mares en sont pourtant tout le contraire ! Elles concentrent une faune et une flore riches et diversifiées, car elles sont un remarquable milieu de vie pour de nombreuses espèces d’Amphibiens (Crapaud commun, Grenouilles vertes et rousses, Tritons…), d’insectes (Libellules, Demoiselles, Nèpes, Notonectes, Dytiques, Gerris, Girins)… et bien d’autres encore ! Les plantes présentes peuvent aussi bien être aquatiques dans le fond de la mare, semi-aquatiques sur les bords de la mare, ou terrestres, ou encore de prairies humides à proximité des berges. De ce fait, de nombreuses espèces floristiques sont ainsi présentes dans ou à proximité d’une mare : Nénuphar jaune, Phragmite, Massette, Joncs, Salicaire pourpre, Saules, Aulne glutineux, Iris d’eau, Cressons, etc.🌳
Les mares représentent aussi des points d’eau non négligeables pour les animaux sauvages qui viennent s’y abreuver. Il n’y a pas qu’en Afrique que les points d’eau attirent les animaux ! Chevreuils, renards, hérissons, oiseaux : il suffit de disposer une bassine d’eau dans son jardin et un piège photo à proximité pour se rendre compte que beaucoup profitent de l’aubaine, et pas que les chats des voisin.es ! 🦔🦡
Pour preuve la vidéo du naturaliste Pierre Rigaux qui a mis en place ce dispositif avec une simple "bassine" enterrée pour permettre à la faune sauvage de se désaltérer en période de canicule :
https://www.youtube.com/watch?v=5uOFDKV1odM&t=10s
Avoir une mare dans son jardin, c'est aussi profiter de tout un spectacle ! L'occasion pour les enfants comme pour les adultes d'observer un cortège d'animaux et de plantes vivre autour de la mare. Ça donne envie non ? 🐾

⚖️ Et juridiquement alors ?
Sur ce point, c’est plus compliqué… En théorie, les mares sont concernées par les différentes lois sur l’eau. Dans ce cadre, elles peuvent être intégrées dans les SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux), ou les PLU (Plans Locaux d’urbanisme). Mais il n’y a malheureusement aucune obligation à inscrire des mares dans ces plans d’aménagement et leur protection légale dépend de fait du bon vouloir des communes ou des collectivités. Malgré le rôle écologique et patrimonial indubitable de ces milieux naturels - qui plus sont de plus en plus rares - , le législateur a bizarrement "oublié" d'assurer leur protection juridique... Pas gagné, donc.
En revanche, les mares peuvent être protégées d'emblée si elles abritent des espèces elles-mêmes protégées (ouf !), comme par exemple les Amphibiens. Toutes les espèces autochtones d’Amphibiens ayant un statut d’espèces protégées, l’altération, la dégradation ou la destruction du milieu de vie ou de reproduction de ces espèces sont strictement interdits (Article L.415-3 du code de l’environnement).
Ainsi, si "Monsieur propre" et "Madame place-nette" souhaitent combler les mares de leurs jardins ou parcelles agricoles alors que ces dernières accueillent au hasard des Tritons crêtés, des Grenouilles rousses ou des Crapauds communs, ils en sont normalement empêchés par la loi. Cette protection est pourtant toute relative, au vu de la méconnaissance dans certains territoires de la distribution des populations d’amphibiens et du réseau de mares les accueillant.
Pour souligner cette méconnaissance, notons qu'en région Grand Est, 19 000 mares ont été référencées par le Programme Régional d'Actions Mares du Grand Est (PRAM Grand Est). On estime cependant leur nombre réel à plus de 105 000 (pas forcément toutes "fonctionnelles" pour les amphibiens), mais difficile de savoir exactement, au vu de l'immense superficie à inventorier !

🟢 Vous l’aurez compris, de nombreux rôles écologiques, culturels et paysagers sont joués par les mares de nos écosystèmes ruraux et péri-urbains. Or, devant la disparition de ces habitats "ordinaires" si riches en biodiversité, il convient de les protéger et de les préserver à tout prix. Pour cela, il est d'abord impératif de faire avancer les connaissances sur leur nombre réel, leur fonctionnalité écologique et le degré de menaces qui pèsent sur elles. Ensuite, il convient de se mobiliser afin de restaurer le maximum de mares, tout en assurant leur conservation à long terme, si besoin par des conventionnements avec les propriétaires ou au moins par leur inscription sur les plans communaux d'aménagement.
Enfin, nous pouvons aussi nous poser la question : à l’heure où le Sud et l’Ouest de la France (et plus globalement d’autres régions du monde) brûlent, et où nous-mêmes nous consumons dans nos mansardes et nos maisons lorraines mal isolées, est-il réellement pertinent de s’évertuer à combler les mares et les zones humides, et supprimer ainsi les points d’eau qui égaient et rafraichissent encore les campagnes suffocantes ? 🥵

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Dossier n° 2022-20133

Objectif atteint

Milieux concernés

Zone humide

Action portant atteinte

Travaux Remblai de zone humide

Dernière mise à jour le 29 janvier 2024

Localité

Cousances-les-Forges (55170) - Meuse - Lorraine

La localisation est approximative

Associations référentes

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Lorraine Nature Environnement
01 rue des récollets
57000 Metz

https://www.lorrainenatureenvironnement.fr/

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Meuse Nature Environnement

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